Une évaluation des risques pour les riverains exposés aux pesticides insuffisamment protectrice

Dans le contexte des dossiers de mise sur le marché des pesticides, cette analyse soulève des préoccupations majeures quant à l’évaluation des risques pour les riverains. Révélant des lacunes significatives, les méthodes actuelles tendent à sous-estimer le véritable danger, tant dans l’estimation de l’exposition que dans la détermination des valeurs sanitaires. De la négligence des conditions réelles d’exposition à l’omission de certains risques potentiels, ce texte explore les failles intrinsèques de ces évaluations et plaide pour une révision en profondeur du système, préconisant des mesures immédiates pour renforcer la sécurité des populations.

Le problème

Les méthodes actuellement utilisées pour les évaluations des risques pour les riverains réalisées dans le cadre des dossiers de mise sur le marché des pesticides conduisent fréquemment à minimiser le risque réel pour ces riverains.

En quoi consiste une évaluation des risques ?
– L’évaluation de l’exposition des riverains permettant estimer le niveau maximal d’exposition attendu dans des conditions normales d’utilisation des produits est faite selon les recommandations d’un guide européen rédigé par l’EFSA.
– Le danger intrinsèque à la substance active est évalué et une valeur sanitaire en dessous de laquelle aucun effet néfaste n’est attendu est déterminée : l’AOEL.
– L’évaluation du risque consiste donc à comparer l’exposition estimée à la valeur sanitaire sans effet. Si l’exposition calculée est inférieure à l’AOEL, le risque est jugé « acceptable ».

Pour pouvoir être mis sur le marché les pesticides doivent avoir un risque jugé ‘acceptable’ pour les riverains. En réalité, l’expression « risque acceptable » est très trompeuse. Elle reflète en effet uniquement la conclusion d’une évaluation faite dans un contexte réglementaire à l’aide de modélisation qui souvent ne reflète pas les conditions réelles d’exposition des riverains.  Un risque acceptable pour la réglementation ne signifie pas forcément une absence de risque en réalité

En effet, ces évaluations comportent de nombreuses failles et incertitudes, tant au niveau de

l’estimation de l’exposition des riverains  qu’au niveau de la dérivation des valeurs sanitaires. D’un côté, le modèles d’exposition ne prennent pas toujours en compte les situations les plus exposantes qui peuvent survenir dans la réalité, conduisant à une sous-estimation de cette exposition et dans tous les cas à une grande incertitude sur les valeurs. Et en parallèle, l’évaluation des dangers est également très incertaine car elle ne prend pas en compte toutes les données de toxicologie existantes ni les co-exposition à plusieurs substances simultanément,   Il y a donc un risque important de sous-estimer le danger. En conséquence, l’exposition estimée est toujours inférieure à la valeur sanitaire et le risque toujours considéré comme « acceptable », permettant l’autorisation de l’usage alors que l’évaluation ne protège pas toute la population, en particulier les personnes les plus vulnérables. Voici un aperçu des failles de cette évaluation (un document complet en lien en fin de page vous permettra d’approfondir le sujet)

Les failles concernant l’exposition des riverains

Un guide de l’EFSA et un calculateur lié permettent d’évaluer l’exposition des riverains.

Après une analyse de ce guide nous avons repérés les principales failles suivantes :

  • L’évaluation des risques et les Zones Non Traitées (ZNT) riverains ne s’appliquent pas à tous les produits !

L’évaluation du risque pour les riverains n’est réalisée que pour des applications par pulvérisation de produits sous forme liquide. Les autres types d’application par poudrage ou l’application de semences enrobées de pesticides, ne font pas l’objet d’obligation d’évaluation de risque pour les riverains.

  • Certaines voies d’exposition ne sont pas prises en compte.

L’exposition aux résidus de pesticides contenus dans les légumes du jardin ou les poussières de la maison n’est pas prise en compte.

  • Les études de terrain intégrées dans le modèle sont anciennes, peu nombreuses, et les valeurs « pire cas » retrouvées dans ces études ne sont pas utilisées

Ainsi pour estimer les expositions provenant de la dérive de pulvérisation sur des cultures dites « hautes » (vergers et vignes) une seule étude datant de…1987 alimente le modèle de calcul ! De plus les valeurs d’exposition intégrées dans le modèle ne sont pas les valeurs les plus élevées mesurées dans cette étude de terrain Les durées d’exposition considérées dans le modèle sous-estiment les expositions réelles.

Pour l’exposition suite à un contact cutané avec des surfaces contaminées, 2 heures sont

considérées de manière arbitraire comme étant le pire cas possible… ce qui peut conduire à sous- estimer certaines expositions.

  • Les conditions météorologiques considérées dans le modèle sous-estiment les expositions réelles.

Les expositions sont estimées dans les modèles soit pour une vitesse de vent inconnue du grand public, pour les cultures hautes, soit pour une vitesse maximale de 2,7 m/s (environ 10km/h) pour les cultures basses. Or les pulvérisations de pesticides sont autorisées jusqu’à 19 km/h de vent. L’exposition des riverains lorsque les épandages ont lieu par des vents compris entre 10 et 19 km/h n’est donc pas évaluées !

  • Les caractéristiques physiques des personnes exposées selon le modèle ne sont pas réalistes ni protectrices pour l’ensemble de la population.

Le risque pour les enfants de moins de 10 kg n’est pas évalué. De plus, le poids des adolescents de 14 à 18 ans est estimé à 60kg par le modèle utilisé ce qui sur estime le poids réel d’une grande proportion de cette population et donc sous-estime leur exposition !

Les failles concernant l’évaluation des dangers des substances pesticides

  • La base de données d’études utilisée pour dériver l’AOEL est souvent incomplète

Les valeurs sanitaires sont dérivées à partir des résultats des études de toxicologie. Les seules études disponibles pour la grande majorité des substances sont les études réglementaires, suivant des normes définies par l’OCDE, fournies par les industriels.   Or, beaucoup d’effets toxiques ne sont pas couverts par ces études réglementaires. (les effets des substances sur la flore microbienne ou la maladie de Parkinson par exemple.) Lorsqu’elle existent, les études universitaires qui la plupart du temps ne suivent pas ces normes OCDE, ne sont pas considérées comme assez fiables pour peser dans l’évaluation ( voir fiche « Non prise en compte suffisante de la littérature scientifique universitaire »)

  • Les effets génotoxiques et cancérigènes ne sont pas toujours couverts par les AOEL.

La plupart du temps, les effets génotoxiques et cancérigènes sont dits « sans seuil », cela signifie que des effets peuvent apparaitre dès la plus faible exposition. Donc impossible ici de définir une dose sûre comme l’AOEL !

  • Les co-formulants présents dans le produit ne sont pas pris en compte et la toxicité chronique des produits n’est pas évaluée (voir fiche « Non-évaluation de la composition des produits dans leur composition complète »).
  • L’effet cocktail n’est pas pris en compte.

l’évaluation du risque se fait substance par substance et ne prend pas en compte l’effet cocktail lié à une exposition multiple à plusieurs substances et produits, bien que ce genre d’exposition soit très fréquente pour les riverains.

Les solutions

Le système d’évaluation de l’exposition des riverains et du danger des substances doit être révisé en profondeur et notamment les documents guides utilisés par l’EFSA. En attendant une refonte complète de ce système, les distances de sécurité (Zones Non Traitées : ZNT) doivent être largement étendues pour diminuer fortement l’exposition de la population. Les riverains doivent être informés à priori de manière systématique des pulvérisations de pesticides à venir. Le système de surveillance dit de ‘phyto-pharmacovigilance’ doit être fortement renforcé et l’usage des pesticides fortement réduit de manière générale.

(voir le détail de nos demandes dans les documents d’approfondissement présentés ci-dessous).

 

Pour aller plus loin

  • Pour en savoir plus téléchargez notre rapport complet(24 pages)
  • Vous pouvez également regarder la vidéo de la présentation de Pauline Cervan, toxicologue pour Générations Futures, tournée lors d’un colloque à l’Assemblée nationale le 20 décembre 2022 (18min40s)
  • Si vous manquez de temps pour lire le rapport complet, vous pouvez toujours visionner notre vidéo pédagogique sur le sujet (2min55s)