Problème
Les méthodes actuellement utilisées pour l’évaluation des pesticides tels qu’ils sont commercialisés ne permettent ni d’appliquer les exigences de la réglementation européenne, ni de tirer des conclusions scientifiquement fiables sur la toxicité à long terme des produits pour la santé humaine ou l’environnement.
La règlementation décrit les pesticides comme composés de trois types d’ingrédients : une substance active, des co-formulants, et des impuretés.
- En théorie, la substance active porte la toxicité du produit.
- Les coformulants ne sont pas définis dans le règlement, mais l’acception commune est que ces produits sont censés assurer certaines fonctions pour le produit. Deux catégories de co-formulants sont définies, qui ne couvrent pas toutes les molécules pouvant être utilisées comme « co-formulants » : « synergiste » renforce par exemple l’action de la substance active, et un « phytoprotecteur » protège la plante de l’action de la substance active.
- Les « impuretés » sont définies par le règlement 1107/2009 comme « tout composant autre que la substance active pure et/ou variante pure se trouvant dans le matériel technique (y compris les composants provenant du processus de fabrication ou d’une dégradation intervenue en cours de stockage).
- Un pesticide est donc composé de ces trois types de substances. Mais cette distinction entre ces trois types est artificielle, car c’est toujours le produit qui est épandu
- Par exemple, si un co-formulant a pour fonction de briser la barrière cellulaire pour permettre à la substance active d’avoir une action toxique, le pesticide ne fonctionnera que lorsque les deux substances sont présentes. La seule substance active n’aurait pas d’effet sur la plante
- C’est pour cette raison que la littérature scientifique indépendante montre que les produits sont systématiquement plus toxiques que leur substance active déclarée prise isolément.
- C’est également pour cette raison que la règlementation européenne prévoit que la toxicité du produit complet soit prise en compte lors de l’homologation.
- L’Union Européenne doit s’assurer de l’innocuité (entendu comme l’absence d’effets nocifs sur la santé humaine ou l’environnement dans des conditions normales d’utilisation) d’une formulation représentative. Les Etats Membres doivent s’assurer de l’innocuité des produits qu’ils autorisent.
Au niveau européen comme au niveau national, les effets néfastes à long terme des produits ne sont pas analysés de façon expérimentale.
- Seules les molécules déclarées comme « substances actives » font l’objet d’expériences sur leurs effets à long terme, bien qu’elles ne soient jamais utilisées seules dans la réalité.
- Les agences de sécurité alimentaire ont indiqué que les effets toxiques à long terme des mélanges de molécules sont extrapolés à partir de la toxicité connue de chacune des molécules déclarées par le fabricant comme étant dans le produit, mais aucune méthode pour cette extrapolation n’est réellement identifiable et les données sur la toxicité des composés chimiques présents dans les produits sont lacunaires.
- De nombreux problèmes rendent par ailleurs méthode complètement inefficace pour connaître les effets toxiques des produits.
-> Les guidelines de l’EFSA indiquent qu’elle ne peut être utilisée qu’à la condition que le mélange soit suffisamment connu. Hors, déjà 3 études[1] – les seules ayant analysé à un tel niveau de détail la composition des pesticides – ont montré la présence de nombreux métaux lourds et HAP, dans des proportions faibles mais non négligeables, dans des dizaines de produits autorisés. Les autorités sanitaires (EFSA et ANSES) ont admis ne pas avoir connaissance de la présence de ces composés.
-> Les données sur les co-formulants sont manquantes, , et l’avait mis en évidence le .
Les méthodes extrapolant la toxicité du mélange de molécules à partir de la toxicité de chaque composé déclaré peuvent donc sous-estimer gravement la toxicité réelle des produits épandus, conduisant aux effets dramatiques observés sur la santé humaine et sur l’environnement[2]
Solution
Les effets toxiques à long terme de la formulation représentative doivent être évalués comme sont évaluées aujourd’hui les molécules déclarées comme substances actives : in vivo, sur deux ans. Des critères transparents assurant que la formulation représentative correspond à la plus utilisée doivent être mis en place. Au niveau national, nous recommandons de n’autoriser que cette formulation évaluée expérimentalement, et de limiter très fortement les écarts de composition via des demandes de justification aux demandeurs d’AMM, qui devront démontrer la nécessité de la variation de composition du point de vue de l’efficacité du produit et de son absence d’effets néfastes supplémentaires. Ces justifications devront être peer-reviewed en double aveugle par des experts indépendants indemnisés pour leur travail.
Dans l’Union Européenne, l’autorisation de mise sur le marché d’un pesticide se fait en 3 temps
- l’industriel dépose un dossier dans l’état où il souhaite le commercialiser
- la commission européenne évalue la toxicité de la substance déclarée comme active pour le produit et approuve son usage dans un produit pesticide
- l’état dans lequel le dossier a été déposé évalue la toxicité du produit et décide de l’autoriser ou non sur le territoire national
Au niveau européen, comme seule une formule doit être évaluée, la solution est simple :
- aligner les exigences de production de données sur la toxicité à long terme de la formulation représentative (284/2013) sur celles de la molécule déclarée comme substance active (283/2013). Cela implique une étude in vivo de la toxicité à long terme réalisée sur deux ans.
- Etablir des critères clairs et transparents sur la définition de représentativité de la formulation pour que ce soit la plus répandue qui soit utilisée
Au niveau national, comme toutes les formules doivent être évaluées, la question est plus complexe, car évaluer toutes les formulations autorisées au même niveau que les molécules déclarées comme substances actives est impossible. Il y a donc un arbitrage à faire, qui doit faire l’objet d’un arbitrage politique informé par un débat conséquent et sincère. Nous envisageons les options suivantes :
- N’autoriser a priori que la formulation représentative évaluée expérimentalement par l’EFSA
- Limiter fortement les écarts par rapport à cette formulation représentative en faisant justifier aux fabricants tout écart de composition, du point de vue de l’efficacité du produit comme du danger supplémentaire que l’écart de composition pourrait impliquer. Une limitation explicite du nombre de formulation différentes d’un même produit peut être définie par la loi, et les restrictions d’usage devront faire l’objet d’un contrôle strict
- Faire évaluer les justifications par des autorités scientifiques indépendantes, c’est-à-dire selon les critères du peer-review académique en double aveugle, en indemnisant les reviewers pour le travail effectué.
- Assumer d’autoriser moins de pesticides et soutenir un modèle agroalimentaire sans pesticides
Détails techniques
Règlement (UE) n ° 284/2013 de la Commission du 1 er mars 2013 établissant les exigences en matière de données applicables aux produits phytopharmaceutiques, conformément au règlement (CE) n ° 1107/2009 du Parlement européen et du Conseil concernant la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques
https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/ALL/?uri=CELEX%3A32013R0284
n° AGRGI710934A, 30 juin 2017 fixant la composition et les modalités de présentation des dossiers de demandes relatives à des autorisations de mise sur le marché et à des permis d’expérimentation et de commerce parallèle de produits phytopharmaceutiques, de leurs adjuvants ou de produits mixtes)
https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000035168669
[1] Defarge, N., De Vendômois, J. S., & Séralini, G. E. (2018). Toxicity of formulants and heavy metals in glyphosate-based herbicides and other pesticides. Toxicology reports, 5, 156-163.
Seralini, G. E., & Jungers, G. (2020). Toxic compounds in herbicides without glyphosate. Food and Chemical Toxicology, 146, 111770.
Jungers, G., Portet-Koltalo, F., Cosme, J., & Seralini, G. E. (2022). Petroleum in Pesticides: A Need to Change Regulatory Toxicology. Toxics, 10(11), 670.
[2] Voir https://www.inserm.fr/expertise-collective/pesticides-et-sante-nouvelles-donnees-2021/