Non prise en compte de toute la science

Pour évaluer correctement les pesticides et offrir la meilleure protection possible de la santé humaine et de l’environnement il est évident qu’il faudrait prendre en compte toutes les connaissances scientifiques disponibles. Nous expliquons dans cette fiche qu’au contraire toute la science disponible n’est pas prise en compte dans l’évaluation réglementaire des pesticides

Que dit la loi ?

A partir de quelles données les évaluations réglementaires se basent-elles ?

Pour toute demande d’autorisation d’une substance active, les industriels doivent fournir toute une série d’études permettant d’évaluer la toxicité et l’écotoxicité de la substance. Le Règlement UE 283/2013, établissant les exigences en matière de données applicables aux substances actives, liste toutes les données obligatoires à fournir et indique également selon quel protocole réglementaire (normes OCDE) ces études doivent être réalisées. Ces études réglementaires sont réalisées par les industriels eux-mêmes ou par des laboratoires sous-traitants, contractés par les firmes.

Selon l’article 8.5 du règlement européen sur les pesticides (Règlement UE 1107/2009), les industriels doivent en plus fournir toutes les données issues de la littérature scientifique publiées au cours des 10 dernières années suivant la demande d’autorisation.

Ces études doivent ensuite passer par une double évaluation, décrite dans un document guide publié par l’EFSA. La pertinence et « l’utilité » des études pour l’évaluation du risque et la classification éco-toxicologique sont d’abord évaluées. Les études pertinentes mais dont l’utilité est jugée seulement « complémentaire » ne seront pas prises en compte, car « elles ne modifient pas l’évaluation du risque ou la classification ». Seules les études jugées pertinentes et utiles pour l’évaluation sont sélectionnées pour le deuxième stade de l’évaluation qui est l’évaluation de leur fiabilité.

Globalement, plus une étude est fidèle aux exigences fixées dans les normes OCDE et les normes sur les bonnes pratiques de laboratoire (BPL), plus est considérée comme fiable et plus elle aura de poids dans l’évaluation de toutes les données disponibles

Le problème

En théorie, les études universitaires doivent donc être intégrées dans les évaluations. Mais le système d’évaluation de la qualité des études est conçu de telle sorte que de très nombreuses études académiques sont rejetées de l’évaluation. Le dossier du glyphosate, une des substances les plus étudiées par les chercheurs indépendants, est celui qui illustre le mieux ce problème qui concerne néanmoins toutes les substances. (voir nos 2 principaux rapports ici et ici).

1/ Beaucoup d’études universitaires sont jugées non pertinentes à tort.

3 types d’études en particulier sont exclues dès la première étape de l’évaluation :

  • Les études sur le mécanisme d’action. Ces études ne permettent pas de détecter des effets néfastes « ultimes » sur le fonctionnement des organes mais permettent d’expliquer comment la substance agit au niveau moléculaire ou cellulaire. Ces études sont jugées non pertinentes pour l’évaluation réglementaire car le régulateur ne s’intéresse qu’aux effets néfastes ultimes. En particulier, les études portant sur la toxicité mitochondriale sont très souvent jugées non pertinentes et/ou non-« utiles » pour l’évaluation. Cet aspect est complètement ignoré de l’évaluation, à tel point qu’il n’y a aucune mention du terme “mitochondria” dans aucun des documents guides utilisés pour l’évaluation réglementaire des substances pesticides. Pourtant, comme précisé par l’EFSA elle-même, ces études « peuvent être utiles pour l’interprétation d’autres études présentes dans le dossier ».
  • Les études réalisées sur des formulations différentes de celles du produit de référence dont l’autorisation est demandée en Europe. Mais comme la composition des produits est confidentielle, il n’y a aucun moyen de vérifier si ces formulations sont effectivement très différentes de celles utilisées en Europe. Cela concerne des centaines d’études dans le dossier du glyphosate.
  • Les études réalisées en dehors de l’UE dans des conditions qui sont jugées non transférables à l’Europe sans qu’aucune justification ne soit donnée.

2/ Certains types d’effets ne sont pas du tout évalués.

Toutes les études de la littérature portant sur les aspects suivants ne sont donc pas prises en compte dans l’évaluation réglementaire.

  • Les effets des pesticides sur le microbiote ne sont pas étudiés par les agences réglementaires car il n’existe pas encore de méthodologie pour mener cette évaluation ! Le RAR du glyphosate de 2021 reconnaît ainsi que “L’étude du microbiote intestinal ne fait actuellement pas partie du cadre européen d’évaluation des pesticides. Ces études ne sont pas prises en compte dans l’évaluation”
  • Les effets épigénétiques (effets modulant l’expression des gènes sans altérer la structure de l’ADN) des pesticides ne sont de même pas étudiés et leur impact est sous-estimé par les agences réglementaires.
  • De nombreux effets des pesticides sur l’environnement ne sont également pas évalués. Ainsi, comme nous l’avons montré dans le dossier du glyphosate, l’évaluation des effets des pesticides sur la biodiversité n’est pas conduite…encore une fois faute de lignes directrices !

Ainsi, dans le dossier du glyphosate, seules 211 études universitaires sur plus de 1600 identifiées sont jugées pertinentes et « utiles pour l’évaluation ».

3/ Les études universitaire indépendantes ne sont pas conçues selon les normes réglementaires de l’OCDE.

C’est pourquoi, d’après les grilles d’évaluation de la qualité des études, ces études non réglementaires sont systématiquement jugées peu ou pas fiables. Sur les 211 études jugées pertinentes et utiles pour l’évaluation du glyphosate, 46 études ont été considérées comme non fiables et 135 fiables avec des restrictions. Seules 30 études universitaires ont in fine été considérées comme fiables pour l’évaluation …soit 1,8% des 1628 études initiales ! Aucune de ces 30 études n’a joué un rôle dans l’évaluation des propriétés CMR ou PE du glyphosate, propriétés pouvant conduire à l’interdiction de la substance en application des critères d’exclusion selon le règlement 1107/2009.

En plus d’écarter la quasi-totalité des études académiques, certaines données industrielles peuvent ne pas être intégrées dans l’évaluation car elles n’ont pas été transmises dans le dossier ! Cela a été le cas pour une étude datant de 2001 et montrant des effets préoccupants du glyphosate sur le neurodéveloppement. L’existence de cette étude a été révélée par 2 chercheurs suédois qui se sont rendu compte qu’elle avait été soumise à l’agence américaine EPA mais pas à l’EFSA.

L’ensemble de ces failles dans l’évaluation de la dangerosité des pesticides conduisent à la non-classification des substances et en la définition de valeurs sanitaires non protectrices

Solution

Le système de sélection des études et d’évaluation du danger des substances doit être révisé en profondeur, en particulier les documents guide utilisés par l’EFSA. Il faudra notamment mettre au point un système qui permettra une meilleure prise en compte des études universitaires en prenant en compte leur qualité scientifique et non le respect des normes OCDE ou des BPL, sur le modèle des pratiques du CIRC et de l’Inserm. Les documents guides manquants sur l’évaluation des effets jusqu’alors ignorés (sur le microbiote ou la biodiversité) devront être créés dans les meilleurs délais.